Logo Hub Rural
Home > News

Sénégal: Autosuffisance en riz - Du diagnostic incomplet à la solution inopérante du gouvernement

L'offre nationale de riz au Sénégal est d'environ 250 mille tonnes (250 MT) dont 75% proviennent de la Vallée du fleuve Sénégal (VFS). La mise en marché effective de la production locale tourne autour de 50% de cette offre, soit 125 MT. La demande est estimée à près d'1 million de tonnes. Il y a donc un gap de près de 875 MT.

Avec un taux de couverture inférieure à 15%, les importations sont inévitables. L’autosuffisance et la compétitivité par rapport aux importations sont les principaux défis de la filière du riz local. Devant l’incertitude qui plane sur l’avenir du marché mondial et les risques de pénurie, la prudence s’impose. Une politique de limitation de la dépendance aux importations sur le moyen terme est plus que jamais nécessaire.

Les importations sont quasi-exclusivement constituées de brisures de riz ordinaire. Le circuit de mise en marché fait intervenir des importateurs, grossistes-distributeurs, souvent des demi-grossistes et détaillants. Malgré la longueur des circuits, le secteur est relativement concurrentiel et les marges pratiquées restent modérées (moins de 5% à chaque stade).

Les faiblesses du riz local et la problématique du prix

La propreté du riz local a été longtemps considérée comme un obstacle à sa commercialisation dans les centres urbains comme Dakar. Le principal problème, d’après tous les opérateurs grossistes interrogés, est celui de l’absence d’homogénéité, notamment granulométrique, mais aussi la régularité de la qualité du riz.

Ce reproche est systématiquement revenu dans tous les entretiens (janvier 2014) avec les intermédiaires de la chaine de commercialisation (importateurs, grossistes) dont la plupart disent avoir eu une très mauvaise expérience avec le riz de la vallée.

Outre les aspects liés à la qualité, le riz local pâtît de son absence de notoriété et de la méconnaissance des ménagères sur la façon de le préparer. Il nécessite, en effet, un lavage plus abondant que le riz importé, ce que nombre de ménagères ignore encore, d’où leur préférence, a priori, pour le riz importé.

Au regard de l’étroitesse du marché international du riz (les échanges portent sur environ 6% de la production mondiale) et avec la dimension sociopolitique de la fixation des prix, il sera difficile pour le riz local de devenir compétitif par le prix.

Le prix de vente au détail du riz local, notamment dans les villes, est ainsi fortement corrélé au prix de la brisure ordinaire importée.

Tant qu’il n’y aura pas de mécanismes de protection tarifaire pour réguler les importations rizicoles, le prix du riz local sera toujours indexé sur le prix du riz importé.

Une offre locale qui ne correspond pas à la demande des marchés urbains

Le marché sénégalais est caractérisé par une très large préférence pour le riz brisé, combinée à une certaine exigence de qualité. Cette préférence est très nette, même s’il existe un marché-niche pour le riz entier. Elle semble être structurelle, mais pas liée au facteur prix uniquement. Le consommateur sénégalais est donc devenu exigeant sur la qualité, tout en restant attentif au rapport qualité/prix.

Les entretiens conduits à Dakar avec les importateurs et grossistes révèlent que les critères de qualité auxquels le consommateur est le plus attaché, concernant la brisure, tiennent d’abord à la propreté du produit (absence de corps étrangers, de grains noirs, de poussière,...) et à son homogénéité (homogénéité variétale et de la granulométrie, c’est-à-dire absence de mélange entre brisure et riz entier). Ce dernier critère est particulièrement important en milieu urbain, où les ménagères n’ont pas le temps de procéder au triage manuel du riz.

Ces critères conduisent l’acheteur à juger de l’aspect de la qualité du riz présenté. Ce qui donne une importance particulière à la possibilité de voir et toucher le riz avant de l’acheter. Dans ce contexte, la marque apparaît comme un élément moins déterminant que l’aspect qualité dans le choix des consommateurs pour tel ou tel riz.

Une option production toute seule n’est pas une option

Pour relancer la production de riz, il faut d’abord garantir un prix rémunérateur aux riziculteurs. Mais, le relèvement des prix officiels n’a de chance de provoquer une expansion de la production que sous une condition : le prix de soutien doit être compétitif par rapport au prix du marché (et ne pas provoquer une baisse de la productivité des industries de transformation du riz). Cependant, dans le cadre de la réduction du prix des denrées de première nécessité, les prix du riz importé ont été revus à la baisse. Cette décision a fragilisé davantage la compétitivité du riz local.

Il faut aussi mettre en place une véritable incitation fiscale pour les ’téméraires’ qui ont investi dans le secteur (la TVA récemment mise en place sur les prestations de services relatives aux récoltes, la mercuriale sur les emballages importés pour le conditionnement du riz sont des éléments impactant négativement la compétitivité de la filière).

La redynamisation de l’interprofession pour la filière riz est aussi un autre paramètre pour régler la problématique des prix de la filière. Il est plus qu’important que tous les acteurs (importateurs, riziers, commerçants, etc.) puisse être transparents. Il faut un meilleur rééquilibrage des forces en négociation. Pour cela, une spécialisation des acteurs de la chaîne de valeurs est nécessaire. Il s’en suivra un meilleur partage des profits le long de la chaîne de valeurs riz qui sera efficiente.

Une ’protection intelligente’ consisterait à caler l’octroi des licences d’importation de riz (près d’1 million T) à un quotepart de riz local (qui respecte les normes de qualité requises) à commercialiser. Ça pourrait être un bon début du processus de mise en marché pour améliorer la notoriété du riz et inciter d’éventuels investisseurs locaux (mesures mises en place ’protéger’ l’industrie sucrière, beaucoup plus draconiennes).

L’offre nationale annuelle de ’riz commercialisable’ (substituable aux importations) était nettement en deça de 50 MT/ an au 31 janvier 2014. Le Conseil interministériel du 12 février 2014 sur l’autosuffisance en riz a conclu ses travaux avec l’ambition d’une production de 900 MT de riz paddy (près de 560 MT de riz blanc), pour la campagne agricole 2014-2015. On peut raisonnablement se demander comment multiplier par 10, en moins une année, (ce qui est posé en filigrane, c’est l’objectivité des informations du ministère de l’Agriculture... En réalité, depuis l’Indépendance, les techniciens de l’Agriculture de nos pays trouvent un malin plaisir à ’s’amuser’ avec les chiffres. Le gouvernement aura intérêt à mettre en place un système de contrôle des informations sur l’Agriculture en général, d’autant plus que c’est un des piliers du Programme Sénégal Emergent (PSE). Concernant le riz, les mécanismes de croisement sont très simples : il existe uniquement trois unités de production à dimension industrielle dans la vallée : VITAL, CNT, Diallo et Frères).

Toute la politique de développement de la filière riz doit être abordée sous une approche-marché (en prenant toute la chaîne de valeurs) suivant les paramètres, prix et qualité, en cohérence avec les attentes des consommateurs si on veut trouver une solution à long terme à la problématique de l’autosuffisance en riz.

La demande locale, c’est le riz ordinaire brisé. Les concurrents sont aujourd’hui l’Inde et le Brésil. L’option-production n’en est pas une dans un contexte de compétition internationale et de signature des Accords de Partenariat Economique (APE). Les défis sont énormes, peut-être qu’il faudrait commencer à parler d’un ministère de l’Agro-Industrie, comprendre les enjeux et mettre les bonnes personnes aux bonnes places.. Tout un programme.

Consultant

Lansana.sakho@experts-visions.com

Crédits: AK-Project