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Changement climatique & Sécurité alimentaire
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Nouvelle donne géopolitique et économique molndiae : l'alimentation et la production au cœur des équilibres

Allocution d’ouverture d’Angel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE, prononcée à la conférence des Échos & Passion Céréales

Paris, 22 février 2012

(Texte préparé pour l’intervention)

Mesdames et messieurs,
Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à cette importante conférence sur l’agriculture dans le contexte de la mondialisation. C’est un plaisir pour moi de l’inaugurer et je remercie Les Échos et Passion Céréales de l’avoir organisée ici, à l’OCDE.

Cette conférence s’inscrit dans un contexte où la donne géopolitique et économique mondiale connaît une profonde transformation. Et vous placez à très juste titre l’agriculture au cœur de cette mutation.

Une architecture mondiale en évolution

En effet, le centre de gravité économique est en train de se déplacer vers l’Est et vers le Sud. La croissance démographique et économique se concentre dans les pays émergents et en développement. Ceux ci sont désormais dans le peloton de tête pour ce qui est de la population, du PIB et des échanges. Pendant ce temps, plusieurs pays de l’OCDE sont aux prises avec la crise économique, une croissance anémique ou nulle, un chômage sans précédent et l’asphyxie des finances publiques.

Les effets de ces bouleversements se manifestent clairement, en particulier sur les marchés de matières premières. Les prix de l’énergie, des minerais, des métaux et des produits agricoles sont de plus en plus élevés depuis quelques années et ils ne vont probablement pas baisser. Comme l’indique la dernière édition des Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO, parue en juin 2011, les prix des céréales vont gagner 20 % et ceux de la viande 30 % sur les dix années à venir.

Pourquoi le souligner ? Parce que la question des prix alimentaires revêt une importance vitale, au sens strict, et en tout premier lieu pour les plus pauvres des pauvres qui consacrent d’ores et déjà 80 à 90 % de leurs revenus à l’alimentation. Chaque augmentation des prix des aliments fait franchir le seuil de pauvreté aux personnes supplémentaires.

La véritable tragédie est qu’à l’heure actuelle près d’un milliard de personnes souffrent de sous-nutrition. L’offre peine à répondre à la hausse de la demande provoquée par l’augmentation de la population et des revenus, en particulier dans les pays émergents. Or, dans à peine plus d’une quarantaine d’années, la population mondiale aura franchi la barre des 9 milliards. C’est désormais indéniable – et les ministres de l’Agriculture du G20 l’ont souligné à juste titre en juin 2011 : pour nourrir la population de la planète en 2050, nous devons accroître les disponibilités alimentaires de 70 à 100 %.

La question est donc : comment y parvenir ? Permettez-moi de vous décrire ce que nous considérons comme les principales priorités.

Accroître la productivité agricole

Pour commencer, il est fondamental d’accroître la productivité agricole. Une mise au point s’impose à cet égard : la productivité agricole ne diminue pas. Elle marque peut-être le pas dans certaines parties du monde où elle est déjà élevée, mais sa marge de progression est considérable, notamment dans une grande partie de l’Afrique, de l’Amérique latine et de la région de la Baltique, ainsi que dans une partie de l’Asie. Dans ces zones, l’écart entre rendements actuels et rendements potentiels est énorme.

La croissance de la productivité agricole ne se maintient pas à un niveau constant globalement. Pourquoi ? Parce que les politiques sont inadaptées. Les institutions et les services, mais aussi les investissements dans les infrastructures et le capital humain, social et naturel sont inadéquats. L’action publique a donc bien un rôle à jouer !

De plus, pour exploiter pleinement les possibilités d’accroissement de la productivité, il nous faut intensifier les efforts de recherche. Les objectifs sont entre autres de s’adapter au changement climatique en mettant au point de nouvelles variétés capables de résister à la sécheresse et à la chaleur, et d’accroître la résilience de l’agriculture. Par ailleurs, une place de plus en plus importante devra être faite aux transferts de technologies Sud-Sud. En retardant le changement technologique maintenant, nous risquons d’empêcher des innovations cruciales d’entrer en jeu à temps.

Investir dans l’agriculture

Ensuite, il est essentiel d’accroître l’investissement dans l’agroalimentaire de demain. Il faut des investissements aussi bien publics que privés dans l’innovation, l’enseignement et les infrastructures. Et ces investissements doivent être réalisés y compris dans les pays en développement, pour que ceux-ci puissent contribuer à répondre aux besoins croissants de la planète.

Pour ce faire, il faut créer des conditions propices. Les gouvernements doivent instaurer un climat dans lequel les investisseurs, les agriculteurs et d’autres acteurs ont la volonté et la capacité d’investir. Ils doivent assurer la stabilité et la transparence des marchés, ce qui nécessite notamment d’en améliorer la gouvernance, de veiller à leur bon fonctionnement et de créer les infrastructures requises.

Somme toute, investir dans l’agriculture suppose aussi, pour les pouvoirs publics, de renoncer à toutes les mesures qui faussent la production et les échanges. Les pays doivent s’abstenir de restreindre les importations et les exportations, car les mesures qui vont dans ce sens empêchent le commerce entre les zones excédentaires et les zones déficitaires, où les pénuries alimentaires sont les plus prononcées.
Alors que tout autour du globe une énorme pression astreint les gouvernements à maîtriser les déficits publics, de nombreux pays de l’OCDE continuent de consacrer aux subventions agricoles une partie de leurs ressources budgétaires limitées. Éliminer les subventions à l’origine de distorsions rééquilibrerait les comptes budgétaires et ferait faire des économies, lesquelles pourraient être affectées à l’investissement dans des services propices à la croissance. Cette mesure stimulerait les gains de productivité.

Conjuguer agriculture et croissance verte

En outre, la réduction des subventions économiquement et écologiquement préjudiciables devrait permettre aux marchés de mieux fonctionner et d’envoyer les signaux voulus pour les besoins de l’environnement. Ceci peut se faire à travers de prix qui tiennent compte de la valeur de rareté des ressources naturelles et de l’impact environnemental de l’agriculture.

Ce doit être désormais clair dans les esprits : la croissance verte sera essentielle pour le secteur de l’alimentation et de l’agriculture. La croissance verte consiste à promouvoir la croissance économique tout en réduisant la pollution et les émissions de gaz à effet de serre. Elle consiste en outre à réduire au minimum la production de déchets et le gaspillage des ressources naturelles, et à préserver la biodiversité. La croissance de la productivité doit être améliorée dans une optique durable.

Renforcer la coordination internationale

Pour libérer pleinement le potentiel de l’agriculture mondiale, il sera indispensable d’améliorer la coordination internationale. Jusqu’ici, les situations de crise ont souvent étés exacerbées par le manque de coordination des réponses apportées par les pouvoirs publics.

Entre 2007 et mars 2011, par exemple, 33 pays ont mis en œuvre 87 mesures de restriction à l’exportation touchant l’agriculture. Ces interventions et d’autres mesures prises par les pouvoirs publics – qu’il s’agisse des droits perçus à l’importation, du contrôle des prix, des « achats de panique » ou des politiques de soutien des biocarburants – ont fortement déstabilisé les marchés internationaux, tout en se révélant relativement peu efficaces sur les marchés intérieurs. Le dialogue international et la coordination des politiques peuvent cependant contribuer à réduire les dangers induits par des politiques commerciales procycliques.

C’est pour cette raison que l’OCDE travaille en étroite coopération avec les autres organisations internationales et les pays du G20. Ce travail a donné lieu à des actions concrètes, comme la création du Système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) et d’un Forum de réaction rapide, qui permettront de coordonner les réponses apportées et de fournir des informations mieux maîtrisées dans le temps, plus précises et plus transparentes sur les marchés alimentaires mondiaux.

Mesdames et Messieurs,
Ceci n’était qu’une esquisse des défis qui nous attendent. Le moment est venu d’opérer un tournant vers des politiques qui soutiennent l’innovation, la productivité et la durabilité et qui apportent aux agriculteurs les compétences dont ils ont besoin pour saisir les opportunités qu’offrent une demande forte et des prix élevés. L’économie mondiale doit faire front et travailler à la réalisation de ces objectifs.

Je voudrais citer cette phrase du grand écrivain espagnol Cervantès : « Las penas con pan son menos ». En Français ça veut dire : « Avec du pain tous les maux sont moindres ». Je crois qu’elle résume bien l’importance des sujets sur lesquels vous allez vous pencher aujourd’hui.

Je vous souhaite beaucoup de succès et une journée riche de débats et d’échanges.

Source : www.oecd.org

Crédits: AK-Project