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Changement climatique & Sécurité alimentaire
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Les assurances ne sont pas une garantie de résilience pour les agriculteurs

Dans la plupart des pays en développement, les sécheresses et les inondations menacent les cultures et le bétail et l’intensité de ces bouleversements climatiques a récemment atteint des records. Alors que les sinistres dus à ce genre de désastres se multiplient, les pays en développement s’inspirent de l’expérience des nations plus riches en transférant les risques grâce à des mécanismes tels que les assurances.

Les spécialistes — dont l’éminent Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans son Rapport spécial sur la gestion des risques de catastrophes et de phénomènes extrêmes pour les besoins de l’adaptation au changement climatique (SREX) — ont cependant appelé à la prudence, affirmant que les assurances n’étaient probablement pas la panacée en matière de résilience face aux chocs climatiques.

Selon le SREX, même dans les pays développés, les assureurs sont réticents à couvrir les inondations et autres aléas naturels à l’échelle régionale ou nationale, car ces risques sont d’ordre systémique.

Entre 1980 et 2003, selon ce même rapport, seulement 20 pour cent environ des sinistres dus à des évènements climatiques étaient assurés dans le monde. En réalité, dans certains pays comme les Pays-Bas, où le risque d’inondations est très élevé, ce type d’assurance n’existe même pas. Le gouvernement indemnise simplement les victimes.

Selon Tom Mitchell, auteur principal du SREX et directeur du programme sur le changement climatique de l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI), le SREX met en doute la capacité des mécanismes d’assurance à accroître la résilience des populations.

Limites

Selon un article publié par M. Mitchell sur le site Climate & Development Knowledge Network, le SREX constate que les assurances « donnent les moyens de financer l’assistance, la reconstitution des moyens de subsistance et la reconstruction, atténuent la vulnérabilité, permettent de savoir comment réduire les risques et incitent à œuvrer dans ce sens ». Il indique cependant que « dans certaines situations toutefois, elles peuvent freiner la réduction des risques de catastrophes ».

Selon M. Mitchell, associées à d’autres mesures de gestion des risques telles que les systèmes d’alerte précoce, les assurances peuvent apporter des informations précieuses aux populations vulnérables et, ainsi, mieux les préparer aux catastrophes naturelles. Mais lorsque les assurances sont le seul moyen de réduire les risques, cela peut « donner une impression de sécurité tout en exposant excessivement la population aux impacts ».

D’autant plus que les produits d’assurance ne couvrent pas les « pertes immatérielles comme les impacts à long terme sur la santé mentale, les pertes de revenus à vie liées à la déscolarisation ou à la malnutrition en période de sécheresse, ni le patrimoine culturel et l’identité », a écrit M. Mitchell.

Les assurances obligent les individus vulnérables à payer des primes en espèces ou en travail ou à se regrouper avec d’autres agriculteurs pour souscrire collectivement à leurs contrats. Toutes ces formules comportent des inconvénients pour les populations à faible revenu, a dit M. Mitchell. Les jeunes, les personnes âgées et les malades ne peuvent par exemple pas toujours travailler.

Par ailleurs, certains pays en développement peuvent ne pas avoir les moyens de souscrire à des produits d’assurance proposés par le secteur privé. M. Mitchell a cité un cas au Bangladesh où un plafond a été imposé au passif de réassurance par la Sadharan Bima Corporation (SBC), le seul réassureur public du pays. Le plafond a été imposé à son passif à la suite d’une série de sinistres liés à de récentes catastrophes. La SBC souscrirait près de 80 pour cent des contrats d’assurance du pays.

Selon M. Mitchell, il faudrait obtenir davantage d’informations sur les effets des polices d’assurance sur les individus et les gouvernements. Il faudrait également mener des évaluations des risques de haute qualité consultables par tous. Les meilleures évaluations des risques sont notamment celles utilisées par les assureurs, mais elles ne sont souvent mises à disposition des gouvernements qu’au prix fort et uniquement dans le but de leur vendre des assurances, a écrit M. Mitchell.

Le SREX a cependant relevé des modes d’assurance prometteurs et innovants pour les individus des pays en développement. Dans le cadre d’un projet pilote au Malawi, par exemple, les agriculteurs peuvent souscrire à la fois à une microassurance et à un prêt afin de se procurer des intrants agricoles permettant d’accroître la productivité. En Mongolie, un autre projet du même type protège le bétail des conditions climatiques hivernales extrêmes afin de limiter les pertes.

« Mais le problème avec ces projets pilotes plutôt efficaces est le suivant : peut-on augmenter leur ampleur et les gouvernements ont-ils les moyens de les financer de manière durable ? » a demandé Harjeet Singh, coordinateur international pour la réduction des risques de catastrophe et l’adaptation climatique d’ActionAid.

Pour les chocs climatiques, a-t-il ajouté, il serait plus simple de mettre sur pied un fonds d’indemnisation mondial financé par tous les pays signataires de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) afin de couvrir les sinistres subis par les pays en développement.

Mutualisation des risques

Certains pays en développement ont bénéficié d’un mécanisme d’assurance plurinational relativement efficace : la mutuelle d’assurance contre les risques liés aux catastrophes dans les Caraïbes (Caribbean Climate Risk Insurance Facility, CCRIF). Ce programme à but non lucratif a été créé en 2007 pour les 16 membres de la Communauté des Caraïbes, qui versent des cotisations relativement faibles et sont indemnisés rapidement lorsqu’ils sont touchés par un ouragan ou un tremblement de terre.

Le Programme alimentaire mondial a aidé l’Union africaine à mettre au point une mutuelle panafricaine de gestion des risques sur le même modèle que le CCRIF : l’Africa Risk Capacity (ARC). Associant police d’assurance et dispositif d’intervention rapide, l’ARC a pour objectif de libérer des fonds en cas de sécheresse.

L’ARC a également une incidence sur la résilience : « correctement conçue, l’assurance peut favoriser les activités de réduction des sinistres et de renforcement de la résilience », a écrit dans un courrier électronique Koko Warner, spécialiste des assurances contre les risques climatiques de l’Université des Nations Unies. Dans le cadre de l’ARC, « pour bénéficier de l’assurance (qui est deux fois moins chère pour les pays participants que si elle n’était pas mutualisée), les pays doivent disposer d’un plan d’urgence permettant d’éviter qu’en cas de sécheresses ou autres désastres climatiques des millions d’habitants ne sombrent dans la famine. »

Selon Mme Warner, les assurances peuvent « permettre de prendre des décisions avec plus de certitude. Les études sur la pauvreté et le développement montrent que l’absence de certitude dissuade de nombreuses personnes d’investir dans des actions “positives” — scolarisation des enfants, santé, amélioration des pratiques agricoles qui apporteraient une plus grande sécurité alimentaire, etc. Cette incertitude est souvent liée au climat. Si un foyer investit et que ses récoltes sont mauvaises, il [...] finit souvent par se couvrir de dettes. Les enfants (principalement les filles) sont parfois déscolarisés et un cercle vicieux d’adaptation commence. »

Il a cependant été constaté avec inquiétude que certains membres du CCRIF éprouvaient des difficultés à payer les cotisations. Selon Ekhosuehi Iyahen, du CCRIF, exception faite d’Haïti, les membres sont parvenus à financer leurs propres cotisations, « mais quelques-uns ont dû demander des financements à [la] Banque mondiale ou à la Banque de développement des Caraïbes pour les premières années ».

« Pour nous, cela démontre plusieurs choses et notamment que les pays eux-mêmes sont de plus en plus conscients des risques que cela implique pour eux et prennent des mesures stratégiques pour essayer de résoudre ce problème de manière plus globale qu’avant », a-t-elle expliqué.

La préparation : une priorité

Selon M. Singh, d’ActionAid, et d’autres experts en catastrophes naturelles, les pays doivent s’atteler en priorité à la réduction de la vulnérabilité à l’échelle individuelle et communautaire en redoublant d’efforts pour renforcer la préparation aux catastrophes.

« Il suffit de comparer les dépenses relatives aux secours et celles qui concernent la prévention des catastrophes », a dit M. Mitchell.

« En 2011, nous avons alloué 13 milliards de dollars aux interventions humanitaires et seulement un pour cent de cette somme pour la prévention et la préparation, qui sont l’essence même de la résilience », a dit Margareta Wahlström, représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe.

Selon Mme Iyahen, du CCRIF, investir dans la réduction des risques implique dans la plupart des cas de prendre des décisions difficiles ayant « des conséquences politiques considérables et cela freine souvent fortement la mise en place de mesures de réduction des risques essentielles et logiques. »

La promesse de s’attaquer à la vulnérabilité est au cœur du problème. Selon Simon Levine, spécialiste de l’aide humanitaire à l’ODI, « lorsqu’il est question de résilience, je ne pense pas qu’il s’agisse de résoudre des risques [...] De trop nombreuses personnes ne vivent pas avec le risque d’être confrontées à des difficultés, elles y sont déjà constamment confrontées et on ne peut pas s’assurer contre ça ! »

Source : IRIN

Crédits: AK-Project