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Enjeux de sécurité alimentaire : Entretien avec le Commissaire le Dr Atouga.

L’ECOWAP existe depuis 2005, quel bilan tirez-vous de sa mise en œuvre ?

Un grand pas a été fait vers la mise en œuvre effective de la Politique agricole de la CEDEAO (ECOWAP) à partir de l’année 2009, avec l’élaboration et la mise en œuvre des Politiques nationales d’investissement agricole (PNIA) et le Programme régional d’investissement agricole (PRIA). Cependant, la mise en œuvre de ces programmes nationaux a seulement partiellement commencé et plus de projets concrets doivent encore être mis en place sur le terrain. A titre d’exemple, le Togo a déjà bien avancé. En février dernier, la mise en œuvre de son Programme national d’investissement agricole a été officiellement lancée. D’autre pays suivront et certains pays ont déjà fait le pas. En mars, le Burkina Faso a tenu une réunion avec ses partenaires afin d’évaluer les ressources à mobiliser pour son Programme national de développement rural. Nous allons continuer à pousser les États à traduire leurs programmes nationaux en projets concrets sur le terrain et nous ferons donc tout qui est dans notre pouvoir pour les inciter dans ce sens.

Quelle priorité souhaitez-vous donner pendant votre mandat à la Commission de la CEDEAO ?

L’augmentation de la production de riz me tient particulièrement à cœur. Je pense que le potentiel existe et nous pourrions facilement produire 20 à 30 millions de tonnes de riz dans la zone de la CEDEAO, si les moyens pour inciter les producteurs agricoles à investir dans la riziculture sont mis en place. Nous allons prendre toutes les mesures qui s’imposent pour promouvoir le développement de projets concrets en matière de production rizicole, notamment en faveur des jeunes. Si ces programmes spécifiques contribuent d’ici trois, quatre ans à augmenter la production de riz pour atteindre un volume de 18 millions de tonnes, ce serait déjà un très grand succès.


Depuis des années, la CEDEAO cherche à mettre en place une stratégie régionale pour le secteur de l’élevage. S’agit-il d’un secteur oublié ?

L’aspect de l’élevage n’est pas à ignorer lorsqu’on parle de sécurité alimentaire. Il doit être pris en compte parce que l’on ne mange pas que des céréales, on mange aussi les protéines animales et lorsque l’alimentation n’est pas équilibrée, cela pose vite un problème. De plus, l’élevage et la production agricole sont complémentaires. L’élevage est générateur de revenus et contribue ainsi à faire augmenter le pouvoir d’achat des éleveurs qui peuvent à leur tour acheter des céréales. Le développement de l’élevage est ainsi un volet indispensable pour atteindre la sécurité alimentaire.

Mais je pense que les orientations qu’a prises le secteur de l’élevage jusqu’à présent n’ont pas toujours été les bonnes. Il faudrait procéder étape par étape : il est plus facile d’aborder la question des volailles dans un premier temps, avant de s’attaquer aux gros bétails. Chaque famille en zone rurale possède plusieurs poulets. Je pense que ce sont pour elles les animaux les plus rentables à court terme. La problématique des gros bétails est différente et bien plus complexe...

En résumé, nous n’avons pas oublié ce sous-secteur mais nous devrions faire encore plus d’efforts pour que davantage de programmes d’appui au secteur de l’élevage voient le jour.
Est-ce vraiment utile de maintenir deux stratégies communes pour booster l’agriculture ? Quelle est la différence fondamentale entre la PAU et l’ECOWAP ?

Je ne crois pas qu’il y ait deux stratégies différentes ; les objectifs de la Politique agricole de l’UEMOA (PAU) et de la Politique agricole commune de la CEDEAO (ECOWAP) sont essentiellement les mêmes et les deux politiques convergent. C’est que les découpages politiques et administratifs sont tels que l’UEMOA se charge de huit pays de la zone du franc CFA et que la CEDEAO couvre les quinze pays de la région, dont les huit pays membres de l’UEMOA. S’il y a des programmes à mettre en œuvre, l’UEMOA peut s’occuper de ses huit pays membres alors que la CEDEAO peut se charger des sept autres pays qui ne font pas partie de la zone UEMOA. Ce partage de travail nous permettra de couvrir plus facilement tout le territoire. La concertation et la dynamisation des deux institutions permettront d’éviter la duplication et le gaspillage de ressources. L’élaboration de la PAU est arrivée au moment où j’étais directeur en charge de l’agriculture à la Commission de l’UEMOA, mais je ne suis pas à l’origine de la PAU. C’est l’UEMOA qui, en tant qu’institution, a créé sa politique agricole. Aujourd’hui, je suis en charge de superviser la mise en œuvre de l’ECOWAP. Ayant suivi la mise en œuvre de ces stratégies pendant plus d’une décennie, je peux vous affirmer que nous avons tous le même but : booster notre agriculture afin d’assurer la sécurité alimentaire de notre région.

Comment créer davantage de synergies entre les actions de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS ? Qui fait quoi et comment avancer ensemble ?

En général, je pense que la concertation est obligatoire entre ces institutions pour éviter une duplication des activités. Nous n’avons pas assez de ressources pour nous permettre de faire la même chose plusieurs fois dans le même pays, il est donc impératif de rationaliser. Aujourd’hui, les trois institutions, à savoir, la CEDEAO, l’UEMOA et le CILSS, se concertent et chacune a son rôle à jouer : la CEDEAO et l’UEMOA détiennent un pouvoir décisionnel politique. Nous pouvons prendre des mesures qui s’appliquent aux Etats membres. Le CILSS est le bras technique de ces deux institutions et il nous aide à prendre les bonnes décisions à travers ses études et ses analyses. A chaque fois que nous avons quelque chose à faire qui relève de la compétence du CILSS, nous la lui confions. Je me réjouis que mes collègues de l’UEMOA et du CILSS partage cette vision et comprennent le besoin de concertation. Je n’ai aucun doute que nous y parviendrons pour éviter qu’il y ait des doublons.

Comment voyez-vous les clivages entre francophones et anglophones au sein de la Communauté ? Est-ce une chance pour la CEDEAO de réduire le langage gap au sein des institutions de la CEDEAO et de l’UEMOA ?

Pour moi, ce clivage entre francophones et anglophones n’existe pas ; en tous cas, pour tous ceux à qui le développement de l’Afrique et de notre région tient à cœur. Ceux qui ne comprennent pas que « Nous avions tout à perdre en étant divisés et nous puissions prospérer en étant unis », pensent qu’il existe une division. En effet, ce problème est issu de la colonisation et je pense qu’il y a un gros effort à faire de la part de nos frères anglophones pour apprendre d’autres langues comme le français. Le problème se pose en ce sens que, lorsque vous parlez l’anglais, vous estimez ne plus avoir besoin des autres langues. Environ 80 % des Francophones qui travaillent à la CEDEAO parlent l’anglais alors que seulement 5-10 % des Anglophones parlent le français. Je pense qu’il faudrait encourager les collègues anglophones à apprendre le français car cela ne pourra que leur être utile et la Communauté dans son ensemble en bénéficierait. Ceci pourrait contribuer à construire des relations et à éviter des malentendus qui sont porteurs de divisions.

J’ai eu la chance d’étudier aux Etats-Unis et j’y ai vécu pendant huit ans en tout. Je suis donc parfaitement bilingue. Il est plus facile pour quelqu’un de bilingue de travailler à l’échelle régionale et internationale, et de communiquer mieux et plus rapidement en fonction de chaque groupe linguistique. Cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes à la tète de l’institution. En fin de compte, l’apprentissage des langues étrangères dépend aussi des opportunités économiques. Ceux qui résident dans des pays en difficulté relèvent la tête et se lancent dans l’apprentissage des autres langues pour aller à la conquête des postes qui s’offrent au niveau régional. Tout est une question de volonté et la maîtrise de plusieurs langues aide à ouvrir les portes.

Propos receuillis par Julia WAnjiru, Secrétariat du CSAO, avril 2012.

Interview with : Lapodini Marc Atouga, Commissaire de la CEDEAO en charge de l’agriculture, de l’environnement et des ressources en eau

Source : Club Du Sahel

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