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Agriculture « intelligente » face au climat: Comment les politiques sur le changement climatique et l’agriculture sont-elles faites en Afrique?

Compte tenu de la richesse et de l’indépendance d’analyse de cet article, le Hub Rural vous en propose une traduction en français afin qu’il soit accessible au plus grand nombre. Pour ceux qui souhaitent accéder directement à sa version anglaise, et bénéficier ainsi d’une lecture plus fidèle aux idées de l’auteur, le lien vers la version originale est proposé en fin d’article.

Un des grands débats à la 18e Conférence des Parties (COP18) à la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques […] a tourné autour du rôle de l’agriculture et de l’opportunité d’établir un programme de travail distinct sur l’agriculture. La décision de mettre en place un programme de travail a été reportée - encore une fois. C’est l’occasion de repenser les questions plus larges concernant le changement climatique et l’agriculture.

Au cours des dernières années, le concept de « climat-smart agriculture » (« agriculture intelligente face au climat ») a constitué un concept unificateur - bien que sévèrement critiqué - qui a gravi l’agenda du développement international. Défini généralement autour de la notion de « triple win » (« triplement gagnant »), c’est-à-dire d’actions concourant simultanément à accroître la résilience aux chocs climatiques et aux facteurs de stress, à stocker le carbone, et à offrir des bénéfices en termes de développement, le concept de « climate-smart agriculture » constitue de plus en plus le principe directeur d’un grand nombre d’acteurs et d’actions pilotes.

Les critiques soutiennent que l’attention à la séquestration du carbone est très problématique, en particulier pour les petits agriculteurs. Beaucoup craignent également que les investissements dans « l’agriculture intelligente face au climat » viennent détourner les investissements agricoles loin des préoccupations des groupes les plus pauvres et les plus vulnérables, en faveur de l’agriculture à grande échelle.

Bien qu’un certain nombre d’actions pilotes sont en cours, nous savons encore peu de choses sur la façon dont cette attention accrue portée sur le changement climatique et l’agriculture se traduira dans la pratique. Qui définit l’ordre du jour ? Sur quelle base et sur quels termes certaines approches et technologies particulières se retrouvent favorisées par la suite ? Les interventions sont-elles guidées par des intérêts particuliers émanant des bailleurs de fonds ou d’intérêts commerciaux ? Y a-t-il des moyens pour que ces interventions soient guidées par les besoins des agriculteurs les plus vulnérables aux effets du changement climatique ?

La politique des politiques de changement climatique

Une série de rapports de recherche produits par le Consortium Future Agricultures s’intéresse à ces questions et à d’autres dans le contexte du Ghana, du Malawi, de l’Ethiopie et du Kenya. Ces pays ont en commun une forte exposition aux risques climatiques et un développement économique fortement dépendant du secteur agricole. En comparant ces pays, ces rapports de recherche donnent un aperçu de comment, pourquoi, quand et pour qui ces processus politiques en matière de changement climatique et agriculture deviennent un sujet d’importance.

Un certain nombre de conclusions se sont dégagées des études de cas.

Tout d’abord, que les débats au niveau national sur le changement climatique et l’agriculture sont le reflet des luttes politiques pour la définition des priorités et le contrôle des financements attendus. Ceci est illustré dans le cas du Malawi, où trois ministères clés revendiquent leur leadership en matière de changement climatique & agriculture. Qui dirige les processus politiques détermine quelles stratégies sont définies comme prioritaires au niveau national et, in fine, qui gagne et qui perd sur le terrain.

Deuxièmement, bien que l’adaptation aux impacts du changement climatique soit la préoccupation majeure pour les gouvernements africains, l’atténuation occupe une place étonnamment élevée à l’ordre du jour des discussions sur le changement climatique et l’agriculture. Les études de cas voient dans ce constat les réponses apportées aux opportunités, réelles ou espérées, de financements extérieurs des bailleurs de fonds.

Dans le cas du Kenya par exemple, nous avons constaté l’émergence de la promotion de la séquestration du carbone en agriculture à mesure que les organisations et agences ont procéder au « repackaging » de leurs programmes de travail pour les faire s’aligner sur les dernières priorités des bailleurs de fonds. En retour, cela a concouru à renforcer une perception et un cadrage du changement climatique comme un problème extérieur et ‘étranger’. Toutefois, les conclusions des études de cas donnent à penser que ce n’est pas là toute l’histoire : le Pouvoir réside aussi dans les mains de certains acteurs des pays en développement qui prennent les bailleurs de fonds à leur propre jeu.

Il demeure également des craintes que le discours sur l’atténuation puisse aussi constituer une voie détournée pour progressivement aboutir à des obligations en matière d’atténuation. Des questions demeurent sur l’étendue de l’autonomie dont disposent les pays en matière de politiques publiques. Peuvent-ils déterminer leur propre futur en matière d’agriculture résiliente au climat, ou résister aux interventions proposés par les bailleurs ? Il est clair que certains pays sont plus en mesure que d’autres de protéger ou de projeter leurs intérêts. Cela dépend souvent de la puissance économique du pays et de son niveau de dépendance à l’aide internationale.

Troisièmement, ces travaux de recherche montrent que l’absence - jusqu’à présent - de cadres politiques cohérents, répartissant de manière équilibrée les priorités entre secteurs, a laissé un espace considérable aux acteurs les plus puissants pour façonner la manière dont les pays abordent les défis et les opportunités, et la façon dont ils gèrent les conflits et les arrangements dans les politiques publiques.

Au Malawi, des stratégies telles que l’agriculture de conservation, les variétés résistantes à la sécheresse et les semences hybrides, ou encore l’agroforesterie sont promues par des acteurs particuliers - les ONG et les donateurs – en appui à « l’agriculture intelligente face au climat ». Pourtant, l’Etat a aussi clairement un engagement politique fort dans le programme de subvention du maïs, qui se heurte aux objectifs de diversification des cultures destinés à favoriser l’adaptation au changement climatique.

Enfin, une conclusion commune aux quatre pays étudiés est que, jusqu’à présent, les politiques et les stratégies sur le changement climatique et l’agriculture ont été développées de façon largement indépendante des politiques du secteur agricole, mais avec des liens plus forts aux politiques d’environnement et de développement.

Se posent aujourd’hui, et de manière critique, des questions quant à la viabilité des voies qui sont actuellement poursuivies, en particulier au regard de leur degré de considération de ce que l’on appelle désormais le nexus Alimentation-Eau-Energie, et de leur capacité à faire face aux défis posés. Cela nous oblige à réfléchir sérieusement sur l’apport du volet agriculture face aux défis posés par les volets énergie et eau, ainsi que sur la façon dont le changement climatique pourrait affecter tout cela. Dit autrement, comment la demande alimentaire à venir et les visions du développement agricole vont affecter et entrer en compétition avec les choix réalisés dans les filières de l’énergie ou de l’eau. C’est l’une des raisons pour lesquelles sont promues l’agriculture de conservation et les techniques de conservation des eaux au Kenya par exemple.

L’augmentation des risques climatiques auxquels l’agriculture est confrontée rend impératif le fait de rendre explicite et de considérer de tels conflits et arrangements entre politiques sectorielles, afin que les buts liés à « l’agriculture intelligente face au climat » puisent être atteints au bénéfice des plus vulnérables.

Fenêtre d’opportunité

Bien qu’il y ait un large consensus sur le fait que l’accent mis sur le changement climatique et l’agriculture offre des opportunités importantes, les études de cas montrent qu’il est trop tôt pour dire si ces opportunités se traduisent en avantages pour les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables, et comment cela devrait se passer dans la pratique.

L’échec des discussions sur l’agriculture à Doha pourrait être utilisé comme une ouverture pour mieux comprendre ce qui est en jeu, et dans quelles conditions des concepts tels que « l’agriculture intelligente face au climat » pourraient améliorer la vie des agriculteurs pauvres et vulnérables.

Ceci est un résumé d’un document d’information FAC à venir et quatre études de cas (deux publiées, deux à paraître). Consultez les pages FAC sur le changement climatique pour plus d’informations. Lars Otto Naess est chercheur à l’IDS et coordinateur du thème le changement climatique du Consortium Future Agricultures. Peter Newell est professeur de relations internationales à l’Université du Sussex. Cet article est initialement paru sur le site internet de l’Institut d’Etudes sur le Développement.

Accéder à l’étude de cas Malawi :

Accéder à l’étude de cas Ghana :

Accéder à l’étude Kenya :

Accéder à la version originale en anglais de l’article : Time for a rethink ? Getting smart about politics on climate change and agriculture

Aller plus loin : How is Climate Change and Agriculture Policy made in Africa ?

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Crédits: AK-Project