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Afrique de l'Ouest : Note d’analyse des 10 ans de la politique agricole de l'Afrique de l'Ouest (ÉCOWAP)

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), s’est dotée en janvier 2005 d’une politique agricole commune (ECOWAP), en déclinaison du Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA – Programme opérationnel du NEPAD concernant l’agriculture et la sécurité alimentaire).

L’adoption de cette politique a été le couronnement d’un long processus très inclusif de réflexions stratégiques ayant impliqué l’ensemble des acteurs (étatiques, non étatiques, et partenaires). La mise en œuvre effective de cette politique a démarré en 2008, avec la signature en 2009 à Abuja du pacte régional, puis des pactes nationaux par toutes les catégories d’acteurs : Organisations intergouvernementales (OIG), États, Organisations professionnelles paysannes et des organisations de producteurs agricoles (OP), Organisations non gouvernementales et de la Société civile (OSC), et le secteur privé.

Ces compactes de mise en œuvre de l’ECOWAP et du PDDAA ont débouché sur l’élaboration et l’adoption du Programme Régional d’Investissement Agricole (PRIA) et des Programmes Nationaux d’Investissement Agricole (PNIA).Ces différents programmes ont connu un début de mise en œuvre avec d’une part, des succès et d’autres parts, des insatisfactions de divers degrés et à différents niveaux.

Des faiblesses à corriger

L’un des constats partagés par la plupart des acteurs est que, ces programmes n’ont pas suffisamment pris en compte certaines questions majeures et défis divers de l’Agriculture ouest-africaine.

Il s’agit notamment :
- de la dimension genre avec l’intégration des mesures et résultats sexo-spécifiques dans la planification des actions à envisager ;
- la nutrition considérée comme l’un des indicateurs majeurs de l’insécurité alimentaire ;
- des défis de la variabilité et du changement climatique ;
- et de la question de l’emploi des jeunes et de l’inclusivité de la croissance agricole.


Des chantiers en appui

Certaines des insuffisances du PRIA et des PNIA ont connu un début de corrections à travers des processus de dialogue et des chantiers complémentaires. C’est le cas :
• du processus ayant démarré avec la Conférence de haut niveau d’Accra sur la libre circulation des produits agricoles en Afrique de l’Ouest ;
• de l’exercice de dialogues inclusifs et de planification multi-acteurs pour la définition des priorités de résilience des pays dans le cadre de l’Alliance globale des initiatives de résilience au Sahel et en Afrique de l’Ouest (AGIR) ; ainsi que
• du processus de dialogue multi-acteurs et de planification stratégique inclusive sur les enjeux et défis de changement climatique pour l’agriculture en Afrique de l’Ouest.

Avec ces divers processus et chantiers complémentaires, les questions du genre et la prise en compte suffisante des mesures de discrimination positive sexo-spécifique sont remises au cœur des échanges entre les différents acteurs et s’appréhendent comme une question transversale. Actuellement, la prise en compte du genre dans la politique agricole fait l’objet d’intenses réflexions et travaux en cours, sous le leadership politique de AFAO et le leadership technique de WILDAF et la forte implication du ROPPA, du RBM, POSCAO et de APESS.

La question de la gouvernance

Globalement, les dispositifs de gouvernance du processus, de cohérence des politiques (verticale et horizontale), de coordinations interinstitutionnelles, et de coordination des Partenaires Techniques et Financiers (PTF), ainsi que le mécanisme de suivi-évaluation présentent des faiblesses et des insuffisances qu’il faut avoir le courage d’affronter. C’est à ce niveau que le leadership politique partagé de la CEDEAO et des quinze Chefs d’Etat (dont huit sont à la fois membres de l’UEMOA et de la CEDEAO) doit s’affirmer.

Sur beaucoup d’aspects de la participation des acteurs aux politiques agricoles et de sécurité alimentaire, on note aussi de faibles capacités de structuration verticale et horizontale, des défauts de compétences spécifiques et d’expertises pertinentes, ainsi qu’un éparpillement sans engagement planifié sur plusieurs enjeux (peu coordonnés). Ce qui limite l’efficacité de leur participation et la qualité de leurs contributions, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre et le suivi-évaluation.

Performances actuelles et défis

L’Afrique de l’Ouest a enregistré ces 10 dernières années une tendance à la hausse de la production agricole. La production céréalière a connu depuis 2008 un accroissement soutenu (en volume et en valeur), notamment pour le riz et le maïs, deux des cinq produits stratégiques de la région. La même tendance est observée au niveau des racines et tubercules. Cependant, l’augmentation de la production est plus liée à l’extension des superficies, qu’à l’augmentation de la productivité. Elle reste insuffisante pour soutenir le rythme d’augmentation de la consommation de certaines denrées. La part de la consommation du riz dans la consommation des céréales est passée de 15% en 1975 à 26% en 2012. Le taux de couverture des besoins de la région par la production domestique est d’environ 60%.

De façon globale et en dépit de l’augmentation de la production agricole, on note une forte dégradation de la balance commerciale agro-alimentaire, sauf au Ghana et en Côte d’Ivoire. En 2012, le déficit de la balance commerciale globale est estimé à environ trois milliards de dollars, ce qui se reflète sur le marché par une tendance à la hausse des prix.

En Afrique de l’Ouest, l’absence et l’insuffisance de complémentarité entre les pays et les filières reste une contrainte majeure à la mise en place, au niveau régional, des chaînes de valeurs ajoutées agricoles. Beaucoup d’incertitudes critiques persistent sur l’impact du changement climatique sur l’agriculture.

Les faiblesses observées au niveau de la croissance agricole (erratique par moment) sont liées à plusieurs facteurs (pluviométriques et climatiques, financement et efficacité des investissements, infrastructures de conservation d’énergie et de transport, niveau élevé des pertes post-agricole, la faible modernisation des exploitations agricoles familiales…).

L’Afrique de l’Ouest est, en effet, l’une des régions confrontées à de fortes perturbations climatiques et d’inquiétants déficits économiques (sécheresses et désertification, inondations, avancées des mers, perte de la biodiversité, instabilité des prix alimentaires avec une tendance persistance à la hausse, appauvrissement des sols, répartition déséquilibrée des revenus issus des différents maillons des chaînes de valeurs ajoutées, faible amélioration des conditions de vie, de travail et de sédentarisation des femmes et des jeunes en milieu rural).

En dépit de l’engagement des Chefs d’Etats et de gouvernements à consacrer 10% de leurs budgets à l’investissement agricole (engagement de Maputo renouvelé à Malabo), la mise en œuvre du PRIA et des PNIA n’a pas encore impacté de façon sensible le niveau de pauvreté des populations (les ménages ruraux sont toujours frappés par la pauvreté), l’accès aux services sociaux de base, l’amélioration des infrastructures énergétiques et de transport en milieu rural, les niveaux de sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations, l’autonomisation des femmes, l’emploi des jeunes et la qualité de vie dans les zones rurales et de productions agricoles.

Il s’impose donc aux acteurs, la nécessité d’une démarche collective de réflexions stratégiques et de planification prospective pour que la nouvelle génération du PRIA et de PNIA apportent des réponses conséquentes à l’ensemble de ces enjeux et défis actuels et futurs.

La diversification agricole se heurte à l’absence de stratégies de répartition équitables des efforts publics sur les différents sous secteurs (production végétale, pêche, élevage, maraichage, horticulture, etc.).

Les tendances lourdes

La formulation des PRIA et PNIA de la nouvelle génération nécessite la prise en compte de certains défis et tendances lourdes tels que : le changement climatique, la résilience des ménages pauvres et vulnérables face aux divers chocs, la prise en compte de l’agriculture urbaine et périurbaine face à la dynamique urbaine et démographique des dix prochaines années, la mise en place d’instruments et de mesures différentiés de politique agricole et de sécurité alimentaire pour tenir compte des spécificités spatiales et agro-écologiques.

Recommandations et suggestions

Au regard des constats, enjeux et défis sus-énumérés, la coordination de la Plateforme associative Afrique Performance (AFRIPERF) suggère et recommande :

1. la prise en compte complète et cohérente de la question du genre avec l’intégration de mesures et résultats sexo-spécifiques dans la planification des actions à envisager. Ceci passe par l’approfondissement des réflexions (déjà engagées) pouvant déboucher sur un compendium ou un guide de prise en compte du genre dans les politiques sectorielles (notamment agricoles et de sécurité alimentaire). Ce compendium pourrait contenir entre autres la démarche et les outils appropriés pour la prise en compte du genre dans la formulation, la mise en œuvre et le suivi-évaluation des politiques et programmes ;

2. le renforcement de la cohérence des politiques et de la coordination interinstitutionnelle des interventions ; de façon spécifique, il s’agit de renforcer la cohérence entre la politique commerciale et les politiques sectorielles, afin que le commerce soit véritablement l’instrument d’intégration régionale et un facteur de croissance inclusive et durable. Ce qui nécessite le renforcement du leadership politique et opérationnel de la CEDEAO dans l’espace Afrique de l’Ouest ;

4. la prise en compte cohérente et concertée de la nutrition dans la nouvelle génération du PRIA et des PNIA, comme une question fondamentale de sécurité alimentaire ;

5. d’intégrer dans la prochaine génération du PRIA et des PNIA, les défis et les enjeux du changement climatique, tenant compte des spécificités et besoins d’adaptation de l’agriculture Ouest africaine ;

6. de mettre au cœur des politiques, programmes et stratégies de développement agricole, la question de l’autonomisation des femmes et de l’emploi des jeunes pour rendre la croissance agricole plus inclusive ;

7. de travailler au renforcement de la biodiversité et de la qualité des sols ;

8. de rendre la région de l’Afrique de l’Ouest moins vulnérable aux chocs économiques exogènes pour faciliter une meilleure stabilisation des prix au profit des plus pauvres ;

9. de veiller à une bonne et équitable répartition des facteurs de production et des revenus générés au niveau des divers maillons des chaînes de production ;

10. de renforcer les infrastructures (de transports, de communication et d’énergies rurales) afin d’améliorer les conditions de vie, de travail et de sédentarisation des femmes et des jeunes en milieu rural. Il serait utile de mettre à contribution les capacités sous régionales de production d’énergies propres et renouvelables appropriées pour les zones agro-écologiques ;

11. d’intégrer dans les politiques et programmes d’urbanisation, de décentralisation et de développement local la nécessité de sauvegarder des espaces appropriés et des moyens d’activités pour l’agriculture urbaine et périurbaine et des couloirs et zones facilitant les activités de production halieutique, et d’élevage, y compris la question de la transhumance ;

12. de renforcer les capacités des acteurs régionaux impliqués dans le processus ECOWAP/PDDAA et d’élargir la signature des pactes de la nouvelle génération à d’autres catégories d’acteurs jugés nécessaires et pertinentes pour l’atteinte des objectifs (médias, syndicats, parlementaires et élus locaux).

13. Placer les jeunes et les femmes au cœur de la transformation souhaitée des agricultures ouest africaines

Afrique Performance (AFRIPERF)

Les membres de la coordination

Lomé, le 08 octobre 2015

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Crédits: AK-Project